Notre-Dame-des-Landes, un Occupy à la française ?

Publié le par frontdegauche11

Par MAXIME COMBES ET NICOLAS HAERINGER Membres d’Attac France et du comité de rédaction de la revue Mouvements

«Une manifestation de réoccupation.» C’est le mot d’ordre que les opposant-e-s à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont lancé pour la journée nationale d’actions de demain. Beaucoup d’organisations du mouvement social et écologiste ainsi que de nombreux élus et personnalités politiques doivent y participer. Il ne s’agit donc pas d’une simple manifestation de solidarité avec les habitants et paysans de la zone évacuée violemment ces dernières semaines. «Réoccuper», «se réinstaller», «reconstruire», autant d’objectifs qui entrent en résonance avec les ressorts politiques des formes d’occupation de l’espace public mis en œuvre par les Indignés, les mouvements Occupy ou, avant eux, les manifestants de la place Tahrir au Caire et les sit-in de la Casbah à Tunis. Occuper pour résister. Pour inventer. Pour transformer.

La Zone d’aménagement différé, devenue Zone A Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes s’apparente en ce sens à une déclinaison rurale du mouvement Occupy et de la lutte des 99% contre les 1%. A partir de l’occupation de quelques hectares de bocage nantais, les opposants à l’aéroport se réapproprient des espaces voués à être bétonnés, privatisés, fermés et contrôlés. Ce faisant, ils posent des problèmes globaux, aussi bien dans leur résistance qu’à travers l’expérimentation de pratiques alternatives. Combattre les dérèglements climatiques, préserver les terres cultivées, relocaliser les productions, réduire notre empreinte écologique, sortir des logiques productivistes et prédatrices sont autant d’exigences globales qu’ils font vivre et expérimentent au quotidien. L’opposition à l’aéroport contribue donc à relocaliser les luttes. Elle ne démondialise pas pour autant les revendications, donnant ainsi forme à un processus de solidarité «translocale».

Cette solidarité translocale s’exprime à travers les liens et relations patiemment tissés lors des forums sociaux et rencontres contre les«grands projets inutiles et imposés»organisés ces deux dernières années. Lors de ces rencontres, les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes côtoient les opposants à la nouvelle gare de Stuttgart, aux lignes à grande vitesse Lyon-Turin, Bordeaux-Bilbao ou Londres-Birmingham, aux nouveaux projets d’autoroutes ou de méga complexes touristiques en Espagne, en Italie, en Russie et ailleurs. Tous évoquent des projets démesurés, nés d’un imaginaire du siècle passé (1). Pour les mettre en œuvre, les pouvoirs publics se mettent au service des intérêts des entreprises privées, au détriment des finances publiques et des équilibres sociaux, démocratiques et écologiques locaux. L’exigence d’une alternative radicale revient comme un leitmotiv, celui de la recherche et de la pratique d’autres modèles de production et de consommation.

La sociologue argentine Maristella Svampa parle d’un «virage éco-territorial» pour caractériser l’essor des luttes en Amérique latine, qui mêlent langage écologiste et pratique de la résistance et de l’alternative inscrite dans des territoires. Le territoire n’est pas ici un confetti qu’il faudrait sauver des dégâts du productivisme, de l’industrialisation ou de la mondialisation néolibérale. Il est au contraire l’espace à partir duquel se construisent résistances et alternatives. Ici, aucun égoïsme du type «je ne veux pas de ce projet chez moi, ailleurs, je m’en fiche» : la préservation, la promotion et la résilience de tous les territoires représentent l’horizon d’ensemble. D’une certaine façon, les mobilisations contre les gaz et pétrole de schiste, en France et ailleurs, notamment lorsqu’elles se doublent d’exigences de transition énergétique radicale, participent de cette même logique.

Occupy Wall Street a montré la puissance politique de l’occupation des interstices urbains : s’immobiliser durablement dans des espaces de transit et de flux permet d’engager des conversations politiques d’une intensité et d’une diversité rares, tout en articulant construction de rapports de forces et réflexion sur les comportements individuels. Le mouvement de solidarité avec les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pourrait ainsi contribuer à faire de la lutte contre cette infrastructure un Occupy Made in France, qui s’inspire autant de la lutte du Larzac que des mouvements Occupy et Indignés.

 
(1) http://mouvements.info/Carte-des-grands-projets-inutiles.html

Publié dans Le front des luttes

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