Merkel mal venue au Portugal, bon élève de l’austérité

Publié le par frontdegauche11

Article tiré de Médiapart

12 novembre 2012 | Par Philippe Riès

 

Si les jeunes diplômés portugais au chômage se pressent dans les écoles de langue afin d’apprendre l’allemand dans l'espoir de trouver du travail en Allemagne, c’est pour conspuer la chancelière fédérale que certains manifestants lisboètes ont appris ces derniers jours quelques mots de la langue de Goethe. C’est peu dire qu’Angela Merkel, que les Allemands appellent affectueusement « Muti » mais que nombre d’Européens du Sud regardent plutôt comme une marâtre responsable de leurs malheurs, n’était pas la bienvenue à Lisbonne où sa visite officielle de quelques heures lundi s’est déroulée sous haute surveillance policière, à l’écart du centre de la capitale.

Entre le palais de Belem où elle a été reçue par le président de la République Anibal Cavaco Silva, le fort de Sao Juliao da Barra où elle a déjeuné avec le premier ministre Pedro Passos Coelho, et le centre culturel de Belem où elle est intervenue dans un symposium d’entrepreneurs des deux pays, la chancelière aura passé en tout et pour tout cinq heures prisonnière d'un étroit périmètre de sécurité au bord du Tage, loin des quartiers centraux de la capitale. Les bains de foule, ce n’est pas vraiment l’ordinaire des dirigeants européens par les difficiles temps qui courent. Mais les foules protestataires elles-mêmes n’étaient pas au rendez-vous. Plus de paroles vengeresses que d’actes, en fin de compte.

Alors que la CGTP, centrale syndicale proche du parti communiste portugais, avait convoqué de maigres troupes sur la petite place de Camoes, pour un petit tour de chauffe avant la grève générale du 14 novembre, divers appels circulant sur les réseaux sociaux avaient invité les Lisboètes à tenter par tous les moyens de se faire entendre de la chancelière. Pour l’occasion, on a même ressorti de l’arsenal révolutionnaire un peu fané depuis 1974-75 la peinture murale grand format, encadrée de noir comme un faire-part de deuil et représentant Passos Coelho telle une marionnette dont Merkel tirerait les ficelles. « Hitler go home » : ce slogan en anglais a été bombé dans la nuit de dimanche à lundi sur les portes principales du fort de Sao Juliao da Barra, qui commanda pendant des siècles l’accès au port de Lisbonne.

Une centaine d’intellectuels et artistes, il est vrai éprouvés par les coupes claires que l’austérité budgétaire impose dans les subventions au monde de la culture, ont pris l’initiative d’une pétition expliquant à Angela Merkel pourquoi elle n’était « pas bienvenue » à Lisbonne. Et sans tomber dans les excès d’une certaine presse grecque, nombre d’éditorialistes et de commentateurs avaient trempé leur plume dans l’acide pour dénoncer l’orientation suicidaire qu'une Allemagne insensible imposerait au reste de la zone euro.

Pas de raison de renégocier le plan de sauvetage

En résumé, Angela Merkel gouvernerait à Lisbonne sans mandat démocratique à travers des hommes de paille qui, indépendamment de leur couleur politique, de Durao Barroso (désormais à sa botte à Bruxelles à la tête de la commission européenne) à Passos Coelho en passant par le socialiste José Socrates (qui coule des jours heureux à Paris comme auditeur libre à Sciences-Po), conduisent le pays à la ruine et à la destruction de « l’État social » mis en place après la révolution des œillets d’avril 1974. Cette austérité « calviniste » (en fait, Merkel est fille d’un pasteur luthérien) viserait à « punir » les Portugais alors qu’ils ont enrichi l’Allemagne en lui achetant des voitures (41 % du parc automobile du pays est de marque allemande) et (dans des conditions suspectes pour deux sous-marins) des matériels militaires.

Si Angela Merkel est venue à Lisbonne à la tête d’une large délégation d’industriels allemands (elle fait la même chose partout, notamment en Chine), c’est parce que les entreprises germaniques voudraient maintenant racheter à la casse les actifs portugais dont la « troïka » FMI-BCE-Commission européenne impose la vente à travers un vaste programme de privatisation des sociétés à capitaux publics. L’Allemagne, qui emprunte à moins de un pour cent mais prête à plus de quatre au Portugal (à travers le programme d’ajustement de 74 milliards d’euros négocié avec la « troïka » en 2011), se comporte ainsi comme un vulgaire usurier, piétinant les principes de solidarité qui devaient présider à l’intégration européenne.

À la veille de son bref séjour dans la capitale portugaise, la chancelière s’est défendue d’avoir inspiré les mesures dictées par les institutions multilatérales et européennes, tout en justifiant les réformes « douloureuses » inévitables pour sortir le pays de la crise. « Au moment présent, il n’y a pas de raison de renégocier » le mémorandum, a-t-elle affirmé à la télévision publique RTP, estimant que Lisbonne n’avait besoin ni de plus d’argent ni de délai supplémentaire. « Le Portugal a très bien rempli ses engagements. De ce fait, je suis convaincue que le résultat sera positif mais la difficulté est que ces réformes exigent du temps pour produire des effet. » « Ce que je veux dire, d’une manière générale, c’est que les emplois et les investissements ne reviendront pas du jour au lendemain. Il faut attendre encore, les gens ne voient pas les résultats mais ils viendront. »

« Nous avons fait des erreurs dans le passé, tous ensemble, en investissant trop de ressources dans les routes, dans les infrastructures en général, en ne soutenant pas suffisamment les petites entreprises pour les rendre plus compétitives. Nous devons apprendre du passé », a poursuivi Angela Merkel, tout en promettant que « nous, les Allemands, allons continuer à soutenir le Portugal, l’Espagne et les autres pays européens. Nous le faisons parce qu’une Europe commune est une bonne chose pour nous aussi ».

Le diable étranger, les démons intérieurs

Toutefois, le « Merkel bashing » ne fait pas l’unanimité. « La haine de Merkel concentre l’attention sur l’Allemagne, l’Europe, les causes extérieures de notre misère, et ce sera très efficace pour détourner l’attention en unissant les complaintes venant de droite et de gauche », écrivait l’historien et commentateur du quotidien de référence Publico, José Pacheco Pereira. Et de citer le proverbe qui veut que « enquanto o pau vai e vem, folgam as costas », une parole populaire très ancienne venant de l’époque de l’esclavage, soit littéralement « entre deux coups de bâton, le dos se repose ». « Cette dame a sa part de responsabilité mais nous ne devons pas nous illusionner : le mal était ici. Le diable étranger ne doit pas nous faire oublier le cortège de démons intérieurs qui nous hantent », explique-t-il en dénonçant un « narratif » de la crise destiné à exonérer la classe politique portugaise de ses énormes responsabilités dans la mauvaise gestion du pays depuis la création de la monnaie unique, et même avant.

Le pari des dirigeants européens et portugais, et pas de la seule Angela Merkel, est que les bons élèves comme le Portugal, dont elle ne cesse de vanter le « courage », ne sont pas la Grèce et vont finir par surmonter la crise budgétaire et de balance des paiements. Le solde commercial du pays, massivement dans le rouge depuis une décennie, est pratiquement à l’équilibre, du fait de la chute de la demande intérieure (le marché automobile a reculé de 40 %) mais aussi des nets progrès des exportations. Les tentatives publiques et privées (la banque BES) toutes récentes de revenir sur les marchés financiers ont été réussies, même si elles sont loin de garantir le retour à la normale envisagé pour 2014.

Mais le bilan social est terrible. Le taux de chômage est supérieur à 15 % alors que plus de 500.000 Portugais ont pris ou repris le chemin de l’émigration depuis cinq ans. Et selon l’ancien ministre des finances (libéral) Bagao Felix, très critique du court actuel, la part de l’économie souterraine serait passée en quelques années de 18 à 25 % du PIB.

Il n’y a pas en effet que les partis de gauche ou les organisations syndicales pour s’opposer au projet de budget 2013 qui, de l’aveu même du ministre des finances Vitor Gaspar, prévoit une « hausse massive des impôts ». Mais les voix qui se sont élevées au sein des partis de la coalition au pouvoir, comme Bagao Felix chez les chrétiens-démocrates du CDS ou l’ancienne présidente du PSD et également ancienne ministre des finances Manuela Ferreira Leite, critiquent avant tout la timidité des réformes de structure destinées à redessiner les contours de l’État-providence, fût-ce au prix d’une modification de la Constitution héritée du PREC, le processus révolutionnaire qui avait mis fin à une demi-siècle de dictature salazariste.

Véritable homme fort du gouvernement, Vitor Gaspar, un économiste passé par la banque du Portugal, la BCE et la commission européenne, doit présenter d’ici au mois de février 2013, après l’achèvement de la sixième évaluation du programme d’ajustement par la « troïka », un ensemble de réformes destinées à réduire « structurellement » et de manière permanente la dépense publique de quelque 4 milliards d’euros. Une nouvelle loi permettra au gouvernement de fermer les entreprises publiques (nationales ou municipales) ayant enregistré trois exercices déficitaires consécutifs. Et le couperet est en train de tomber sur des dizaines de « fondations » et autres institutions semi-publiques nourries depuis des années aux mamelles de l’État. Après la réanimation et les soins intensifs, la rééducation.



 

Publié dans International

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